Phaléristique de la prise de la Bastille, par Jean-Marc Gohier
La phaléristique (dérivée du mot phalère) est une science qui a pour objet l'étude des ordres, décorations et médailles que ce soit dans le domaine militaire, civil ou religieux. Ces phalères remises aux légionnaires romains pour leurs actes de bravoure ou les campagnes auxquelles ils avaient participé victorieusement se portaient accrochées sur la cuirasse.
Dans une vente publique lyonnaise (chez Maitre Conan,en mai 2019) deux lots attiraient l’attention :
Lot 525 estimation 10000 à 15000€ lot 526 estimation 500 à 1000€
Ce sont eux qui sont eux qui sont à l’origine de l’ étude qui suit. Mais revenons aux événements révolutionnaires.
La prise de la Bastille
Le matin du 14 juillet 1789, des miliciens se rendirent aux Invalides et s’emparèrent de 30 000 fusils. La rumeur se développa que de la poudre et des munitions étaient entreposées à la forteresse de la Bastille. Vers 13 heures des manifestants s’emparèrent du premier pont-levis de la forteresse, mais furent bloqués à hauteur du second. Peu de temps après, le sous-lieutenant Élie, venant des Invalides à la tête d’une colonne de volontaires armés et équipés de deux canons et d’un mortier, se joignit à l’ex-adjudant Hulin, arrivé de l’Hôtel de Ville avec un détachement de gardes-françaises. Leurs troupes parvinrent à menacer la grande porte de la forteresse en plaçant leurs deux canons près de celle-ci.
En voyant le danger, le marquis de Launay, gouverneur de la Bastille, décida vers 17 heures de capituler.
Arrestation de de Launay (détail)
Anonyme (musée Carnavalet)
Arrêté, il est rapidement massacré. La Bastille était ainsi tombée en quatre heures, l’action faisant 98 victimes et 73 blessés. Le même jour, l’hôtel de ville était aussi le théâtre d’évènements dramatiques. La foule se pressait devant le bâtiment et le prévôt des marchands, Jacques de Flesselle (ancien intendant de Lyon), sortit pour parlementer. Il fut abattu d’un coup de pistolet par un quidam qui disparut dans la foule.
Assassinat de Jacques de Flesselle
par Jean-Baptiste Lallemand ( musée Carnavalet)
Les têtes des deux hommes finirent la journée au bout de piques.
« C’est ainsi qu’on se venge des traitres »
Gravure anonyme 178
Dans la prise de la Bastille il faut distinguer deux types d’acteurs : la Garde Française (régiment d’infanterie de l’armée royale) et la Milice bourgeoise (majoritairement composée d’artisans du faubourg St-Antoine).
Garde Française Milice bourgeoise
La Commune de Paris, créée au soir du 14 juillet nomme Jean-Sylvain Bailly comme son premier maire. Elle va attribuer par reconnaissance aux « vainqueurs de la Bastille » deux récompenses différentes et spécifiques :
- la médaille d’or communale des gardes françaises,
- le diplôme de la couronne murale.
- 1) LA MÉDAILLE D’OR COMMUNALE DES GARDES-FRANÇAISES
Le Comité militaire de l’Assemblée communale de Paris, demanda le 5 août 1789, qu’il soit attribué une médaille d’or communale en faveur des Gardes-Françaises et des militaires ayant participé à cet événement historique. Cette médaille fut créée par l’arrêté du1erseptembre 1789 et remise à chaque titulaire accompagnée d’un brevet d’attribution. Elle récompensait les 64 hommes des deux sections du 3ème bataillon du régiment des gardes-françaises, ainsi qu’une quarantaine de soldats isolés appartenant à d’autres compagnies de ce régiment ou venant d’autres unités. Chaque récipiendaire est identifié au travers d’une liste officielle.
Le ruban:
L’arrêté du 1er septembre 1789 définit le ruban de la médaille des gardes-françaises, comme étant aux couleurs de la ville de Paris, avec deux larges bandes verticales, une bleue et une rouge, et de chaque côté un liseré blanc.
La médaille:
En forme de losange de 32 mm de hauteur sur 21 mm de largeur, aux angles pommetés.
Sur l’avers: des attributs brisés de geôlier, constitués par une chaîne coupée pendant d’un anneau, surmontant deux boulets et un cadenas ouvert rattaché au reste de la chaîne. L’ensemble était entouré par l’inscription « LA LIBERTÉ CONQUISE LE 14 JUILLET 1789 »
- Sur le revers : une épée, la pointe dirigée vers le haut, passait au centre d’une couronne mi-chêne, mi-laurier; l’ensemble étant entouré par un vers en latin du poète Lucain
« IGNORANT NE DATOS NE QUISQUAM SERVIAT ENSES »
(Ignorent-ils que les armes ont été données contre la servitude).
Médaille communale des Gardes Françaises
Lot 525, vente étude Conan, Lyon, mai 2019
Dans cette vente de Lyon le diplôme, nommément attribué, est signé de deux personnalités : le maire de la nouvelle commune de Paris, Bailly, et le commandant général, La Fayette.
Diplôme signature de Bailly signature de La Fayette
Jean-Sylvain Bailly La Fayette
(1736-1793) (1757-1834)
Bailly, mathématicien astronome, est élu président du tiers-état en juin 1789. Il devient le premier maire de Paris le 15 juillet 1789 à la mort du dernier prévôt des marchands de Paris, de Flesselle. Il sera guillotiné en 1793.
La Fayette, après avoir participé à la guerre d’indépendance des Etats-Unis participe au début de la Révolution. Il fera reconnaitre la cocarde tricolore par le Roi Louis XVI.
Au lendemain du 14 juillet 1789, La Fayette a réorganisé la milice bourgeoise en garde nationale avec un double objectif : mettre fin à la situation insurrectionnelle créée par la prise de la Bastille, tout en conservant contre les troupes royales les forces d’une armée civique. Ainsi l’Assemblée reste soucieuse de contrôler les éléments armés susceptibles de déclencher des émeutes. Mais en février 1790, les émeutiers qui se disent Vainqueurs de la Bastille adressent une pétition à l’Assemblée nationale pour obtenir, eux aussi, une médaille. Une commission de la Commune de Paris vérifie, de mars à juin, les titres des vainqueurs, de leurs veuves et de leurs orphelins. A la fin de ces travaux, Bailly, maire de Paris, écrit le 8 juin 1790 à La Fayette pour le prier d’intervenir auprès de l’Assemblée en faveur des Vainqueurs de la Bastille, « qui méritent bien honneur et argent », et de leur faire obtenir une place de choix à la prochaine fête de la Fédération.
Décret du 19 juin 1790:
« L’Assemblée Nationale décrète la fourniture aux vainqueurs de la Bastille en état de porter les armes et au dépens du Trésor Public d’un habit et d’un équipement complet suivant l’uniforme de la Nation (Uniforme de la Garde nationale parisienne). Sur le canon du fusil et la lame du sabre sont gravés l’écusson national : 3 fleurs de lys et la légende la Loi, le Roi ) et la mention que ces armes étaient données par la Nation à …. Vainqueur de la Bastille ».
Officier et soldats de la Garde nationale en 1791
Anonyme, musée de la Révolution, Vizille
En 1792, les vainqueurs vont former la 35ème Division de Gendarmerie à pied. La fête de la Fédération du 14 juillet 1790 devait être la grande manifestation de réconciliation nationale entre le Roi et la Nation. Elle célébrait l’anniversaire de la prise de la Bastille dans une atmosphère d’union nationale en présence des 83 députés venant de tout le territoire.
La fête ne devait réunir que les troupes de ligne, aussi, après leur avoir été accordée, la « place honorable » suscitait des difficultés. Ainsi 6 jours après avoir été accordé, un décret du 25 juin va accepter la renonciation des Vainqueurs de la Bastille aux distinctions qui leur ont été conférées le 19 juin. Ils conservent toutefois l’habit, l’armement complet, un fusil et un sabre portant le nom du Vainqueur, et la possibilité de se faire délivrer un diplôme d’après le tableau officiel déposé aux Archives de la Nation.