Phaléristique de la prise de la Bastille, par Jean Marc Gohier, 2020 (suite)
2) LE DIPLOME DES VAINQUEURS DE LA BASTILLE ET LA COURONNE MURALE
L’on dénombra 849 vainqueurs de la Bastille qui ne firent pas partie des gardes-françaises. La plupart d’entre eux, appartenaient à la milice bourgeoise composée de volontaires armés. Une commission spéciale fut chargée par la Commune de Paris de dresser la liste officielle des participants. A l’issue de plusieurs séances tenues entre le 22 mars et le 16 juin 1790, fut arrêtée une liste définitive qui porta à 954 le nombre des « vainqueurs de la Bastille ». La manière pleine de réticences avec laquelle on honore les Vainqueurs de la Bastille montre bien les hésitations et les inquiétudes des politiques, en 1789-1790 devant les débordements populaires. Donner une place d’honneur aux Vainqueurs de la Bastille lors de la fête de la Fédération aurait constitué une imprudence, et celle-ci a été évitée. Mieux valait décerner un brillant diplôme et quelques gratifications !
Un premier modèle de Couronne Murale consistait en une couronne brodée cousue sur l’habit ; mais rapidement, les titulaires qui considéraient cette couronne comme une décoration, firent réaliser un insigne portable en bronze. Comme il n’existait pas de modèle officiel, l’insigne était porté suspendu à des rubans aux caractéristiques diverses.
L’insigne est généralement en bronze parfois doré et ajouré, en forme de couronne uniface composée par cinq tours crénelées et reliées entre elles par une muraille. Ses dimensions : 24 cm (18 sans bélière) x 31 mm.
Certains titulaires firent graver au revers l’inscription :
RÉCOMPENSE NATIONALE DÉCERNÉE A MONSIEUR... VAINQUEUR DE LA BASTILLE 1790.
Mais d’autres versions existent comme cet exemplaire conservé au musée Carnavalet à Paris.
Mais les uns comme les autres ne pourront guère longtemps porter leur insigne. En effet deux années plus tard, la Convention, opposée aux distinctions jugées non égalitaires, abolit par décret du 20 août 1793 toutes les décorations y compris celles attribuées aux vainqueurs de la Bastille.
De plus le 18 novembre de la même année elle décrète que:
« Les citoyens ci-devant décorés de la croix de Saint-Louis ou autres décorations, qui ne les auront pas déposées à leur municipalité, avec les titres de ces ci-devant décorations, dans le délai de huit jours après la publication du présent décret, seront suspects par le fait ; et les municipalités, comités révolutionnaires et autres autorités sont chargées, sous leur responsabilité, de les faire arrêter. »
Par conséquent les documents et décorations que nous venons de décrire sont de nos jours rarissimes. A leur origine ils furent décernés en petits nombres puis retirés trois ans plus tard. Les coins de la médaille des gardes-françaises restèrent à la Monnaie de Paris.
Et en 1832, les vainqueurs de la Bastille survivants (401) obtiendront que l’administration des monnaies, effectue une nouvelle frappe limitée de leurs insignes. Ainsi une médaille des gardes-françaises fut réalisée en cuivre doré ou argent et non plus en or, et une couronne murale en bronze non doré et aux tours non ajourées. De nouvelles frappes seront faites à l’occasion du centenaire en 1889, puis au XXe siècle
Couronne murale vainqueurs de la Bastille (refrappe de 1832)
attribuée à Michel Boissière
Ces objets sont recherchés par les collectionneurs car ils sont des témoignages émouvants de notre histoire. Question valeur marchande, il y a une variation considérable entre les objets rarissimes d’époque révolutionnaire et les répliques frappés au XIXe et XXe siècle. Ainsi pour le losange de la garde française :
Si le lot de la vente Conan (n°525 estimé 10 000 à 15 000€) n’a pas été adjugé, on note en 2012 un résultat dans une vente suisse.
Vente Chaponnière & Firmenich : prix réalisé 8 500 CHF
Et pour les refrappes du XIXe siècle,
Vente Osenat, Fontainebleau 2018 : 110 €
Le diplôme des vainqueurs de la Bastille n° 526 de la vente Conan à Lyon a été adjugé à 900€.
L’attribution est intéressante. Le brevet est décerné au « maitre ébéniste Antoine Gengenbach, du faubourg St-Antoine de Paris». Il s’agit d’un des maitres ébénistes les plus fameux du XVIIIème siècle.
« Antoine Gengenbach dit Canabas était spécialisé dans les petits meubles, presque tous en acajou. La manière de Joseph Canabas, est très particulière. Il a employé des bois d'acajou d'une qualité exceptionnelle, d'une admirable couleur, d'un grain très serré et ils se distinguent dans la perfection de leur ébénisterie ».
Secrétaire, acajou massif,
estampillé Canabas
De son côté l’insigne de la couronne murale, d’époque révolutionnaire atteint, lui aussi, des niveaux élevés.
Drouot 2012 : adjugé 5 000 €
Les refrappes attribuées de 1832 atteignent des niveaux plus modestes.
Vente Orsenat, Fontainebleau 2014, adjugé 380 €
A noter que la couronne murale d’époque révolutionnaire est ajourée, tandis que les refrappes ne le sont pas.
La prise de la Bastille fut aussi une source de création de médailles souvenirs dès les semaines suivant l’évènement.
Médaillette uniface 1789
prise de la Bastille (diamètre 20mm)
Un maçon entrepreneur « avisé » va se distinguer en commençant la destruction de la forteresse dès le 15 juillet. Il s’agit de Pierre-François Palloy dit Palloy le patriote qui va faire feu de tout bois en vendant de multiples souvenirs.
Pierre-François Palloy destruction de la Bastille
( 1755-1835) Hubert Robert, musée Carnavalet
Il va en particulier vendre des pierres, des maquettes et des médailles de la Bastille dans toute la France.
Pierre de la Bastille, St-Julien du Sault (89)
Maquette sculptée dans une pierre de la Bastille (musée Carnavalet)
Les médailles sont en général en fer cerclé de cuivre ou de laiton. Selon le dire de Palloy le fer provient de la fonte des chaines et verrous de la Bastille. Emises à faible tirage, elles sont recherchées par les collectionneurs. Elles s’échangent actuellement de 400 à 600€.
Si la prise de la Bastille fut célébrée dans les années qui suivirent l’évènement, elle tomba ensuite dans un certain oubli. Ce n’est qu’une centaine d’années plus tard que la IIIème république, cherchant une date fondatrice, décida, en 1880, du 14 juillet comme fête nationale.
10 mars 2020
Jean-Marc Gohier