LOUIS ROUSSELON : DU BARREAU A LA MEDAILLE, par Jean-Pol Donné - 2014
Rousselon par Linossier (Coll. part.)
Louis Rousselon (1878-1954) illustre parfaitement un certain idéal lyonnais associant activité professionnelle, vie intellectuelle ou artistique et action sociale [1]. Issu d’une famille de négociants de notre ville, après une scolarité classique au collège de Mongré, il s’oriente vers des études juridiques couronnées en 1901 par la soutenance de sa thèse de Doctorat en Droit. Il s’inscrit au Barreau et devient avocat à la Cour d’Appel de Lyon. Seule la Guerre l’éloigne du monde judiciaire. Engagé volontaire en 1914, incorporé au 22e régiment d’infanterie, sa conduite lui valut une citation. Liquidateur près le Tribunal de Commerce entre 1925 et 1936, il reprend en 1938, pour ne plus la quitter, sa place au Barreau.
Louis Rousselon vouait une véritable passion à la création artistique qu’il ne cessa pas d’apprécier et à laquelle il participa lui même. Ne se contentant pas d’admirer les œuvres consacrées rassemblées dans les musées, il fréquente assidûment les Salons, les expositions et les galeries. Il aime aussi faire partager ses émotions ou ses analyses. En 1920, c’est donc tout naturellement qu’il accepte, après le départ de Marcel Renard pour Paris, d’assurer sous la signature de Luc Roville, la critique artistique du Salut Public qu’il conservera jusqu’à la disparition du journal en 1944.
L’usine de Cusset par Rousselon
Bronze frappé - Ø 70 mm (Coll. part.).
Dès ses premiers articles, il affirme son ouverture d’esprit envers « les artistes qui cherchent, par des voies nouvelles, à mieux rendre le sentiment qu’ils ont de la lumière, de la couleur ou de la forme » (il s’agit des peintres cubistes) en recommandant de « ne pas aller avec malveillance vers ces nouveautés » et de « s’appliquer à comprendre et, si même on ne comprend pas, ne pas trop se hâter de les condamner » [2]. Son goût pour la sculpture le conduit à suivre les cours que Louis Prost à l’Ecole des Beaux-Arts de Lyon. La sculpture le conduit vers la médaille alors bien représentée dans les divers Salons annuels et fort appréciée des Lyonnais. Parmi les médailleurs dont il a pu suivre l’évolution, deux noms se détachent : Marcel Renard et Claudius Linossier qui lui offrit une grande plaquette à son effigie. Louis Rousselon affirme son propre style au fil des médailles qu’il réalise pour son plaisir et celui de ses amis.
Joseph Belloni par Rousselon
Bronze coulé - Ø 92 mm (Coll. Part.)
A quelques exceptions près, il ne s’agit pas de commandes ce qui explique peut-être qu’il put rester pleinement fidèle à l’idée qu’il se faisait d’une médaille. Jean Tricou relève que Rousselon se place « dans la tradition des médailleurs italiens du XVe et du XVIe siècles. Médailles coulées et non gravées, de grand module, avec des portraits d’une facture assez large, mais toujours très ressemblants, puis de beaux revers pas trop chargés avec des devises appropriées faites d’un latin sonore et classique » [3]. Pour Rousselon il n’est de médaille que fondue. À l’exception de celle composée pour l’usine hydroélectrique de Cusset et le canal de Jonage, ses rares médailles frappées conservent habituellement l’aspect d’une médaille fondue.
Le cardinal Gerlier par Rousselon
Bronze coulé - Ø 80 mm (Musée des Beaux-Arts de Lyon).
Dégagé des contraintes liées à la frappe, Rousselon peut donner un fort relief aux effigies qu’il modèle en cire avant de les confier au fondeur. C’est ainsi qu’il nous offre une remarquable galerie métallique de portraits de ses amis, artistes ou érudits comme Jean Tricou, Claude Dalbanne, Mathieu Varille, Joseph Belloni ou Claudius Linossier. On lui doit aussi la médaille offerte au Cardinal Gerlier par le Barreau de Lyon. Il accordait une attention toute particulière à la patine de ses médailles, n’hésitant pas à en présenter plusieurs versions.
Pr. Paul Trillat par Rousselon (revers).
Bronze coulé - Ø 88 mm (Coll. Part.)
La composition des revers le passionne. Quelques uns sont tout à fait originaux, tel celui de la médaille de Ferdinand Leyvastre (1936) qui donne en quelque sorte toute sa noblesse à un banal aspirateur présenté comme une amphore antique. De même, le revers de la médaille modelée pour Paul Boissenot (1950), fondateur de la société FAR (Fonderies et Ateliers du Rhône) nous montre un phare battu par les flots. Pour la médaille offerte au professeur Paul Trillat (1948), sous une vue estompée de l’Hôtel-Dieu dominé par la colline de Fourvière et de sa basilique, c’est un forceps transformé en caducée qui occupe la majeure partie du champ. Une légende lapidaire, en forme de devise pour les accoucheurs, SAVOIR ATTENDRE, et un gros grènetis complètent ce revers particulièrement heureux.
Sa passion pour l’Antiquité classique et la Renaissance entraîne Rousselon vers la Grèce ou l’Italie. Il ramène de ces séjours des impressions qui lui permettent de composer au fil du temps une série de médailles consacrées à la mer Égée, la Sicile, Florence, San Gimignano ou Sienne.
Louis Rousselon participa activement aux activités de nombreuses sociétés savantes de notre ville. Membre de la Société littéraire, archéologique et historique, de l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Lyon, il présida la Société de Lecture. Dans une conférence remarquée (1927), il développa un plaidoyer pour « L’utilité d’une culture générale dans les affaires ». Excellent juriste loué pour « sa droiture et sa sagesse », Louis Rousselon offrit avec constance et un total désintéressement ses compétences au service de l’action sociale dans les domaines les plus divers comme en témoignent, entre autres, ses fonctions d’administrateur de la Caisse d’Epargne du Rhône, de secrétaire général de la Société pour la Sauvegarde de l’Enfance, de vice-président de l’Union de Prévoyance de la Soierie lyonnaise ou de président du Groupement de Prévoyance du Tissage. Il apporta aussi son concours actif au comité de défense des enfants traduits en justice.
Sienne par Rousselon (revers).
Bronze coulé - Ø 78 mm (Coll. part.)
En 1950, l’œuvre numismatique de Louis Rousselon fut reconnue à travers une exposition présentée au Musée des Beaux-Arts de Lyon. Au lendemain de sa mort, Jean Tricou, après avoir évoqué son « esprit remarquable et sa culture très vaste » saluait en Louis Rousselon un médailleur dont « le nom demeurera dans la liste des bons médailleurs lyonnais » [4].
Jean-Pol Donné
Article publié dans le Bulletin municipal officiel
de la ville de Lyon du 20 janvier 2014
[1] Que le Musée des Beaux-Arts de Lyon et M. Planet ainsi que M. Rouhette trouvent ici l’expression de ma reconnaissance pour l’aide qu’ils m’ont apportée.
[2] Luc Roville, Le Salon d’automne, Le Salut public, 6 octobre 1920.
[3] Jean TRICOU, Rapport sur la candidature de Louis Rousselon à l’Académie de Lyon (20 mai 1947), Archives de l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Lyon, dossier Louis Rousselon.
[4] Jean TRICOU, Bulletin de la Société française de Numismatique, mars 1954, p. 262.