Le Thaler de Marie-Thérèse et ses refrappes, par Jean-Philippe PERRET, 2016
Thaler posthume à l'effigie de Marie-Thérèse d'Autriche dit MTT, abréviation de Maria-Theresien Thaler, type frappé de 1853 à 2002 pour près de 300 000 000 d'exemplaires. Avers M(aria) THERESIA D(ei) G(racia) R(omanorum) Imp(eratrix) HU(ngariae) BO(hemiaeque) REG(ina). Revers ARCHID(ux) AUST(riae) DUX BURG(undia) CO(mes) TYR(olis) X (croix de Bourgogne) 1780. tranche : CLEMENTIA ET IUSTITIA. Revers, aigle bicéphale du Saint-Empire portant un écu en 4 parties présentant en 1 les armes de Hongrie, en 2 de Bohême, en 3 de Bourgogne, en 4 de Burgau avec les armes d'Autriche sur le tout. L'écu est timbré des couronnes de Hongrie et de Bohême tandis que la couronne impériale couronne l'aigle. Ar, 39,5 mm, 28 grammes.
Le débutant en numismatique est toujours intrigué par une grande monnaie d'argent datée de 1780 à un prix défiant toute concurrence : le fameux thaler de Marie-Thérèse. Cette monnaie reste tout autant intrigante pour le collectionneur chevronné ; comment cette pièce est-elle devenue la monnaie la plus frappée au monde ? Enquête sur un phénomène monétaire unique.
1 Au tournant des XVe et XVIe siècle, les innovations techniques de l'industrie minière permettent la mise en valeur d'importants gisements d'argent en Europe Centrale. Cet afflux d'argent conduit différentes principautés de cette région à la création d'une monnaie d'argent de grande dimension, équivalente en valeur au florin, ou gulden d'or, que l'on appelle le guldiner d'argent. La première pièce de ce type fut frappée par le comte de Tyrol Sigismond de Habsbourg en 1486. Ce guldiner d'argent prend ensuite le nom de thaler au début du XVIe siècle, grâce à la renommée de la monnaie des comtes de Schlick, frappée à partir de 1516 et utilisant le riche gisement d'argent de la vallée de Saint Joachim en Bohême. On parlera au départ de « Sankt Joachimthal guldengroschen » ensuite de « joachimsthaler », puis enfin de « thaler », nom générique désignant une monnaie d'argent d'environ 28-30 grammes et de 40 millimètres frappée en Europe Centrale et en Europe du Nord qui donnera le nom de « dollar » chez les Britanniques. Les thalers deviennent alors la monnaie de référence du Saint Empire. Les différentes lignées des maisons de Brunswick, Stolberg et Mansfeld en profitent particulièrement, leurs possessions abritant des filons d'argent très riches. Les princes électeurs sont bien moins dotés, à l'exception des Wettin de Saxe qui exploitent les mines d'argent de Meissen depuis le Moyen Âge. La branche albertine de la famille qui récupère l'électorat dans la seconde moitié du XVIe siècle frappa un monnayage d'argent considérable dans ses ateliers. Les Habsbourg d'Autriche frappent de grandes quantités de thalers à partir de la seconde moitié du XVIe siècle grâce aux gisements du Schwaz au Tyrol, de Kutna-Hora en Bohême, et surtout de Banska-Stiavnica en Haute-Hongrie (Slovaquie actuelle), qui s'avéra le plus riche. Ces monnaies, comme les pièces de huit réaux espagnoles trouvent un emploi dans le commerce international, en particulier vers l'Orient, dispensateur de biens de consommation de luxe.
Thaler impérial de l'empereur Rodolphe II (1576-1612) frappé à Kremnica en 1602. Ar, 42 mm, 29 gr. Ex collection privée
2 De sa création à sa fin, en 1871, l'appellation de thaler recouvre des monnaies de poids et de titres d'argent divers. Si la tentative d'instaurer un thaler commun pour l'Empire basé sur le marc de Cologne se dégage, les monnaies frappées par les états s'en démarquent très souvent.
Comme dans tous les systèmes monétaires européens d'Ancien Régime, une monnaie de compte, le « currenttaler » , cotoie la monnaie réelle dénommée « speciesthaler ». Le XVIIe siècle voit un recul de leur frappe au profit du petit monnayage lors de la Guerre de Trente Ans.
Au tournant des XVIIe et XVIIIe siècle, le pouvoir des Habsbourg connait son apogée avec le traité de Karlowitz (1699), qui marque la reconquête de la Hongrie sur les Turcs et l'acquisition de la Transylvanie. Le thaler est alors une belle monnaie d'argent, divisée en 2 florins ou en 120 kreuzers, de 1692 à 1857. En 1692, le thaler impérial pèse 28,80 grammes pour un taux de 875/000. Le taux d'argent diminua toutefois pendant la Guerre de Succession d'Autriche (1740-1748), la dernière grande variation remontant à 1751, établissant le « conventionstaler » au poids de 28,06 grammes pour un taux de fin de 833/000. Cette diminution est signalée par la présence des sarments de Bourgogne (croix de saint André en forme de X), après la date de toutes les monnaies d'argent frappées, et ce jusqu'en 1804. Ce poids et taux de fin se maintiennent pendant un siècle pour le monnayage impérial d'argent, suivis par d'autres états d'Allemagne méridionale, comme la Bavière ou l'évêché de Salzbourg, avec la signature de la convention monétaire de 1753. Au vu de l'ampleur des terres dominées par les Habsbourg, un autre thaler de poids plus lourd est aussi frappé pour l'Italie et les Pays-Bas, le kronenthaler, remplaçant les ducatons d'argent, pesant 28,96 grammes pour 873/000 de fin, circulant aussi dans l'Empire.
Thaler impérial de Marie-Thérèse comme reine de Hongrie frappé à Kremnica en 1742 ; Ar, 42 mm, 28 grammes. Ex collection privée
3 Quand Marie-Thérèse de Habsbourg (1717-1780) parvient au pouvoir en 1740, son père, Charles VI (1711-1740), s'est efforcé d'aplanir les difficultés entraînant l'accession inédite d'une femme à la tête du Saint Empire par la pragmatique sanction de 1713 et de nombreuses négociations auprès de toutes les puissances européennes. Malgré les belles promesses de tous, l'électeur de Bavière Charles-Albert brigue le titre impérial avec le soutien du royaume de France, du royaume de Prusse et de bien d'autres : la Guerre de Succession d'Autriche (1740-1748) commence. La jeune souveraine est une femme de caractère qui trouve des soutiens en Hongrie et du côté britannique, qui lui permettront de tenir tête à ces puissances coalisées. En 1745, son époux, François-Etienne de Lorraine, est reconnu comme Empereur, respectant ainsi officiellement la loi salique : l'année suivante, le monnayage des terres d'Empire se retrouve pour moitié à l'effigie de l'Empereur. En réalité, c'est la souveraine qui est aux commandes des vastes états des Habbsourg, alors que son mari se consacre avec succès aux affaires financières de la famille. Marie-Thérèse cumule la direction de ses états et la mise au monde de 16 enfants issus de la nouvelle dynastie des Habsbourg-Lorraine. Elle choisit comme devise « clementia et justitia », que l'on retrouve désormais sur les tranches des thalers. Cette belle devise est assez éloignée des réalités d'un empire bien inégalitaire, mais qui connut toutefois de nombreux progrès sous le règne d'une souveraine éclairée, grandement appréciée de ses sujets.
Thaler de convention frappé pour Marie-Thérèse à Hall en 1761. Ar, 42 mm, 28 gr. Ex collection privée
4 A cette époque marquée par le développement du commerce colonial et des compagnies des Indes, l'empire des Habsbourg reste en retrait de ce mouvement. Une compagnie des Indes, la compagnie d'Ostende, est créée en 1717 dans les Pays-Bas autrichiens et obtient un comptoir au Bengale et des résultats honorables. Celle-ci est toutefois sacrifiée en 1731 pour des raisons diplomatiques, dont gagner ainsi l'alliance de la Grande-Bretagne au profit de la future souveraine : les Habsbourg se tourneront donc vers la mise en valeur directe du gigantesque royaume de Hongrie. Toutefois, une bonne partie du commerce avec l'Orient passe par l'intermédiaire des thalers d'argent, ceux de Marie-Thérèse connaissent alors un grand succès dès leur lancement, gravés par le maître graveur Mathias Donner (1704-1756). Cette effigie féminine n'est pas la première sur un thaler, mais c'est la première émission frappée à des millions d'exemplaires portant une effigie féminine au goût de l'époque, oriental comme occidental. La représentation en gloire maternelle de 1746 frappée à Vienne et Kremnica connait un large succès, la monnaie circulant largement en tant que telle, mais largement appréciée aussi dans la bijouterie orientale où les femmes portant leur dot sur leur vêtements. En 1750, le thaler de Marie-Thérèse s'achète donc 129 kreuzers à Constantinople, tandis que l'explorateur écossais James Bruce témoigne de son usage important dans l'Abyssinie dès la fin du XVIIIe siècle. Son exportation étant théoriquement interdite, tout un commerce informel de cette monnaie se met en place. Les marchands français de Marseille en font grand usage, passant par les banquiers d'Augsbourg. La forte demande lève finalement les derniers obstacles à l'exportation en 1752, grâce à l'action du banquier Johann Fries qui se charge de cette vaste entreprise d'exportation. L'état autrichien reçoit 5 % sur chaque thaler et Fries voit ses bénéfices monter à 33 %, la moitié de la production de thalers part en Orient, soit près de 24 millions de monnaies frappées en 20 ans. La demande relance l'atelier déclinant de Hall au Tyrol, où désormais l'argent utilisé provient des gisements slovaques, ou même d'Amérique espagnole. Le thaler de Marie-Thérèse circule alors dans tout l'empire ottoman, la Perse, la côte africaine orientale, jusqu'en Inde et en Indonésie. Il trouve sa voie jusqu'en Chine, ou toutefois il ne détrôna pas le dollar espagnol.
Demi-thaler de convention au buste de Marie-Thérèse en veuve frappé à Vienne en 1767. Ar, ,. ex collection privée
5 En 1765, François-Etienne de Lorraine meurt, laissant une veuve éplorée. Le fils aîné du couple, Joseph, devient empereur et une partie du monnayage est frappée à son effigie, mais sa mère conserve l'essentiel du pouvoir et toutes ses prérogatives dans les terres patrimoniales d'Italie, des Pays-Bas et de Hongrie. De nombreux changements se produisent sur le thaler, les armoiries complexes présentant quinze écus sont désormais limités à un écu en quatre quartiers présentant les possessions les plus importantes. Entre 1765 et 1766, l'effigie de la souveraine est aussi modifiée, sa poitrine est désormais recouverte et sa tête voilée, conformément aux représentations d'une veuve décente. Ces nouvelles dispositions plus austères altèrent le marché, la nouvelle monnaie est refusée, tandis qu'en 1767, la république de Venise frappe un tallero d'argent, avec une effigie féminine très inspirée des portraits de Donner, ce qui indispose les Autrichiens. Finalement, en 1772, au nom des intérêts supérieurs du commerce, l'effigie austère est remplacée par un portrait plus juvénile, le haut de la poitrine réapparait tandis que le voile se maintient. A part le thaler, seul le florin et des multiples du ducat en or sont frappé avec cette effigie. En 1780, les thalers frappés au nom de Marie-Thérèse sont produits dans six ateliers, Bruxelles frappe un kronenthaler à l'aigle et aux couronnes depuis 25 ans, les ateliers de Vienne et de Kremnica un thaler à la madone et aux armoiries pour la Hongrie, Milan frappe une pièce avec l'effigie voilée et âgée de la souveraine. La frappe du « conventionsthaler » ou « levantthaler » à l'effigie de Marie-Thérèse se concentre dans les deux grands ateliers autrichiens de Vienne et Hall, mais aussi dans l'atelier allemand de Günzburg (duché de Burgau en Souabe).
refrappe posthume du thaler au portrait de 1772, frappe posthume de Karlsburg (Transylvanie), frappée entre 1797 et 1803, classement haffner 2. Ex collection privée
« kronenthaler » ou « cruccionne » de Joseph II frappé en 1786 à Bruxelles. Ar, 28 mm, 28 gr. Ex collection privée
6 A la mort de la souveraine, la frappe de thalers à son effigie et à la date de 1780 continua dans divers ateliers sous les règnes de Joseph II (1780-1790), Léopold II (1790-1792) et François II (1792-1806). Seules les émissions de Vienne se distinguent très vite par un nouveau portrait inspiré de celui de 1772 mais où l'impératrice est plus âgée, du même graveur que les monnaies de Joseph II, où la ressemblance est bien mise en évidence : ce portrait deviendra la norme du thaler posthume viennois dès 1783. Les premiers types se démarquent des imitations ultérieures par l'absence de signature à l'exergue de l'avers, deux signatures, celles du maître graveur et celle du directeur d'atelier, se retrouvant de chaque côté des serres de l'aigle au revers. Les monnaies frappées à Milan entre 1790 et 1802 présentent un portrait inspiré du portrait de Vienne avec une broche ronde emperlée mais avec un revers aux armes de Burgau, comme les thalers frappés à Günzburg. Cette ville est l'atelier monétaire du duché de Burgau, une enclave autrichienne en Souabe, à l'extrémité occidentale de l'actuelle Bavière. L'atelier fonctionne intensément entre 1764 et 1805, lorsque le duché passe au royaume de Bavière.
L'atelier, voisin de la ville d'Augsbourg où les commerçants européens s'approvisionnent en thalers, frappe de grandes quantités de thalers du Levant à partir de 1772, qui se distinguent par les armes du duché de Burgau (bandé de gueules et d'argent de trois pièces à un pal d'or) dans l'écu du quatrième quartier présent au revers. Enfin, les thalers frappés à Prague et à Karlsburg en Transylvanie (Alba Iulia en Roumanie) ne se distinguent pas des frappes du vivant de l'impératrice, à l'exception des signatures du revers. Les variétés les plus importantes se trouvent à Vienne et Günzburg (plus d'une vingtaine pour ce dernier). Les victoires napoléoniennes imposent des capitulations financières draconiennes à l'Autriche. En 1806, le Saint Empire Romain Germanique disparaît et les Habsbourg deviennent désormais empereurs d'Autriche : ainsi François II devient François Ier empereur d'Autriche (1806-1835). L' état autrichien connait la faillite en 1811 et les émissions monétaires sont très limitées jusqu'à la fin de l'empire napoléonien. Le commerce avec l'Orient étant perturbé, la frappe de thalers à l'effigie de Marie-Thérèse ralentit fortement pendant une quinzaine d'années.
Refrappe attribuée par Hafner (numéro 36) à l'atelier de Milan entre 1815 et 1828 au buste caractéristique des premières refrappes italiennes. 40 mm, ex collection privée
7 Le nouvel équilibre européen issu du congrès de Vienne en 1815 replace l'empire des Habsbourg comme grande puissance. Les pertes territoriales en Belgique et en Souabe sont compensées par l'acquisition de la Vénétie. Venise devient donc un nouvel atelier monétaire impérial, dans une ville portuaire traditionnellement ouverte sur l'Orient. Une bonne partie de la production de thalers posthumes se concentre donc principalement dans les ateliers italiens de Venise et de Milan, tandis que Vienne continue également la frappe, et bien secondairement Prague. Les émissions italiennes commencent en 1815, usant d'abord du portrait que l'on pourrait qualifier de transition, frappé à Milan avant la période napoléonienne, puis du portrait viennois à partir de 1841, gardant le revers aux armes de Burgau. A l'exergue de l'avers, sous le portrait, les initiales S.F correspondent respectivement au directeur de l'atelier de Günzburg Tobias Schöbl et au graveur Joseph Faby, qui dirigeaient l'atelier en 1780. Ces deux lettres se retrouveront désormais systématiquement sur tous les thalers produits en Italie. A Vienne, les initiales I.C-F.A du directeur Johan-August Cronberg et du graveur Franz Aicherau, en poste en 1780, se retrouvent aussi au revers. Le règne de l'empereur Ferdinand (1835-1848) passe inaperçu, se terminant par le printemps des peuples qui voit l'empereur François-Joseph Ier (1848-1916) parvenir au pouvoir. L'atelier de Vienne abandonne à son tour l'aigle pour les armes de Burgau dans le quatrième quartier et la signature S.F sous le portrait en 1853 : les différences entre les trois monnayages se résument seulement aux ponctuations sous la signature des maîtres d'atelier à l'avers et les points des sarments au revers*. On frappe alors entre 300 000 et 400 000 monnaies par an dans les trois ateliers. La fin de la domination des Habsbourg en Italie se produit en deux étapes avec le rattachement du Milanais (1859), puis de la Vénétie au royaume d'Italie (1866), laissant désormais la frappe se concentrer dans l'atelier de Vienne autour d'un type unique désigné familièrement sous les initiales de MTT (Maria Theresia Thaler).
* A ce propos, l'ouvrage de François Régoudy et celui de Léoplod Haffner se contredisent, pour le premier, Vienne passe au revers de Günzburg dès 1824 et non 1853.
Refrappe de Vienne, type 1796-1853 avec la signature au revers ainsi que les armes de Basse-Autriche, sans signature S.F à l'avers. 41 mm. Ex collection privée
Refrappe attribuée à Venise par Hafner entre 1840 et 1866, signalée par la présence de deux points de chaque côté de la croix de saint André du revers et la ponctuation du S.F. à l'avers (Hafner 41). 40 mm. Ex collection privée
8 La conquête coloniale de l'Afrique commence vraiment dans la seconde moitié du XIXe siècle, et la monétarisation de l'économie africaine commence par une progression de la circulation du thaler de Marie-Thérèse, qui précède les conquêtes coloniales au centre et à l'est du continent. Les Britanniques, Français et Portugais ont donc besoin de cette monnaie pour commercer, mais pas seulement. En 1867, des tensions politiques décident les Britanniques à intervenir en Ethiopie contre l'empereur Théodoros II et cette coûteuse expédition punitive sans lendemain nécessita cinq millions de thalers livrés pour l'occasion. A partir de cette époque, les frappes montent à la hausse ; environ un million de thalers sont frappés chaque année. Entre 1892 et 1897 , ce sont 23 millions de MTT qui sortent de la monnaie de Vienne. Avec la conquête de la Lybie par l'Italie en 1911, ce sont 8 millions de thalers qui seront livrés à Rome.
9 Le thaler de Marie-Thérèse prend place auprès de nombreuses monnaies occidentales semblables qui se retrouvent dans le monde musulman depuis le XVIe siècle, comme la pièce de huit réaux espagnoles, ou les différentes monnaies des Pays-Bas. Ainsi de « l'abouquelle », le lleuwandaalder néerlandais au lion du XVIIe siècle surnommé le père des chiens vu la ressemblance du félin avec un chien, on parlera d' « abou teirr » pour le thaler, littéralement le père des oiseaux par son caractère bicéphale. Les termes de Ber, Gersch et buter désignant l'aigle dans différents dialectes le désignèrent aussi. Les Européens étant désignés généralement sous le terme de Francs, on parlera aussi de « El ryal fransi », la pièce française, cette monnaie étant aussi souvent amenée en Orient par les commerçants français qui surnomment irréverencieusement la monnaie « la grosse dame ». Les mieux informés parleront de « El ryal mamwesi « la pièce autrichienne », et les philosophes de « Abou gnouchtou », le père de la satisfaction. En Afrique Orientale vers 1850, une vache se vend entre 3 et 5 thalers, un cheval entre 15 et 25 thalers, un esclave entre 5 et 15 thalers.
Copie vénitienne du thaler de Marie-Thérèse réalisée en 1794 sous le doge Louis Manin (1786-1797). Ar 40 mm . Ex collection privée
10 Les autorités insulaires contremarquèrent souvent les monnaies afin de limiter leur circulation à un périmètre restreint. Ainsi, la V.O.C (compagnie des Indes néerlandaises) contremarqua de nombreuses monnaies d'argent entre 1753 et 1760 à Java, mais l'authenticité des contremarques portées sur les thalers à Java est douteuse. Celle-ci est par contre avérée dans le sultanat voisin de Sumenep (île de Madura) au milieu du XIXe siècle. Plusieurs autorités locales, souvent issues des arabes yéménites de l'Hadramaout, s'y livrent entre la fin du XIXe siècle et le milieu du XXe siècle dans la région de la Mer Rouge, mais de nombreux faux sont encore avérés. Le cas le plus connu concerne les contremarques attribuées au chérif de la Mecque Hussein, porte-étendard de la révolte arabe de 1916, ou à son rival Ibn'Séoud, fondateur de l'Arabie saoudite. Si l'authenticité des contremarques apposées sur les monnaies ottomanes circulant dans le Hejaz et le Nejd (côte occidentale de l'Arabie saoudite actuelle) ne fait pas de doute, il n'en est pas de même pour les thalers de Marie-Thérèse contremarqués. Dans les colonies européennes africaines, si tous les colonisateurs utilisèrent le thaler, seuls les Portugais lui apposèrent des contremarques constituées de lettres, couronnées ou non pour le Mozambique, en 1767, puis entre 1870 et 1900. Nous incitons les lecteurs désireux d'acquérir des thalers contremarqués à beaucoup de prudence.
11 Malgré la fin de l'empire austro-hongrois en 1918, Vienne parvient à garder le privilège de la frappe monétaire, à l'exception de quelques émissions extérieures bien secondaires. L'état italien reprend l'avers des thalers vénitiens de la fin du XVIIIe siècle combiné à l'aigle savoyard au revers pour un tallero daté de 1918 qui ne remporta aucun succès, comme le tallero d'Umberto Ier frappé en 1896 pour l'Erythrée qui était lui, outre le fait d'être bien différent de l'impératrice avec sa moustache démesurée, d'un titre d'argent plus faible. Les frappes du MTT continuent à Vienne, ce sont des dizaines de millions de thalers qui sont produits dans les années 1920 afin de satisfaire les besoins des colonies européennes.
refrappe de Rome, réalisée entre 1935 et 1938, plus lourde en argent mais au diamètre plus réduit (39 mm), ( Hafner 63). Ex collection privée
12 Les nuages s'amoncellent sur la jeune et fragile république autrichienne, menacée par Hitler. En 1935, Mussolini joue de sa protection et récupère le privilège exclusif de la frappe du thaler de Marie-Thérèse pour 25 ans, ainsi que les coins monétaires. En effet, près de 40 ans après la désastreuse défaite militaire italienne infligée à Adoua par Ménélik II, Mussolini veut envahir l'Ethiopie, membre de la Société des Nations. La monnaie principale étant le thaler de Marie-Thérèse, l'atelier de Rome frappe 20 millions de celui-ci dans une variété à la dimension plus réduite mais au titre de 835/000. Le Duce devenant indirectement le banquier d'une bonne partie de l'Afrique, les autres nations européennes se lancent elles-mêmes dans leur propre production, dès 1936 en Grande-Bretagne. Les Anglais arguent du contrat liant la monnaie de Vienne et la firme Johnson et Cie, et récusent l'accusation de fausse monnaie en affirmant que le fait que de battre monnaie au nom d'un souverain décédé d'un empire disparu ne peut pas s'y apparenter. La France, la Belgique et les Pays-Bas emboîtent le pas à l'Angleterre. Avec l'occupation de la France, de la Belgique et des Pays-Bas et le bombardement de l'atelier monétaire de Londres, la production fut transférée à Bombay et Calcutta en 1940 où plus de 20 millions de thalers sont frappés. Les copies sont de bon aloi, mais vu la richesse de composition de cette monnaie, les copies se décèlent par de petits détails omis : les perles de la tranche ou du diadème défectueuses à Paris, deux rangées de plumes au lieu de trois pour l'aigle dans la plupart des ateliers anglais et indiens, la dernière et troisième traverse de la croix hongroise est oubliée à Bruxelles et Birmingham. La frappe continue jusqu'en 1955 à Bruxelles et Birmingham, 1960 à Paris, 1961 à Londres malgré les protestations de Vienne dès 1946.
13 En 1961, Vienne reprend le contrôle du thaler de Marie-Thérèse, la demande continue pour l'Afrique Orientale et la péninsule arabique, même si celle-ci diminue au tournant des années 1960-70 lorsque les différents états de la péninsule arabique s'orientent vers un monnayage national, qui dirige les roupies anglaises et les thalers dans la thésaurisation. Le « talar » est désormais une monnaie qui circule de manière limitée pour les dots des mariage, où les rançons et dispositions financières rachetant les meurtres au Yémen. La dernière frappe connue du thaler eut lieu en 2002, environ 300 000 000 de thalers de Marie-Thérèse seraient aujourd'hui en circulation.
Bibliographie sélective
-Livres et articles en français
Un excellent résumé de l'histoire du thaler :
-Philippe Flandrin, « le thaler d'argent, histoire d'une monnaie commune », édition du félin, 1996, Paris.
L'ouvrage en français sur les refrappes du thaler de Marie-Thérèse avec une partie catalogue bien utile présentant l'analyse d'un trésor saisi pendant la guerre d'Algérie:
-Jean -François Régoudy : « le thaler de Marie-Thérèse, 1780 : grand voyageur du temps et de l'espace », Histoires de la Monnaie, 1992, Paris
Un résumé court et de qualité sur le thaler en numismatique :
- Jacques Druart, « le thaler dans tous ses Etats », publié dans la revue la vie numismatique, 53e année, 3e livraison de 2003, pages 77 à 95
-Livres et ressources en anglais et en allemand
L'ouvrage de référence servant de référencement aux variétés :
-Léopold Haffner « der lexikon von Maria Theresia thaler », 1984 , Rausch, Vienne
Site internet de qualité présentant l'évolution des informations en allemand et en anglais:
http://www.theresia.name/en/index.html
Un article intéressant quant à la circulation du thaler de Marie-Thérèse en Afrique orientale et dans la péninsule arabique :
Peter Harrigan, tales of a thaler , Aramco (Arab and islamic cultures connection) février 2013
Diverses monnaies divisionnaires frappés dans les dif érents Etats de l'impératrice, de gauche à droite, avers et revers d'une 30 kreuzers en argent frappée à Graz en 1745, avers d'une double-liard des Pays-Bas frappé à Anvers en 1750, revers d'une 30 kreuzers frappée à Vienne en 1776 pour la Galicie, avers d'un soldo italien frappé à Milan en 1777. Ex collection privée